A la veille de la première guerre mondiale, les Allemands qui occupent le Cameroun conçoivent un projet qui est un défi à l’humanité : expulser les habitants d’une ville entière Douala, au profit de la puissance coloniale. Un homme, Douala Manga Bell, fils de roi et roi à son tour, va se dresser contre eux . Cette pièce chorégraphique est l’évocation de son combat. Lutte implacable, pathétique, sur laquelle plane l’ombre du gibet. Le 8 août 1914 Douala Manga Bell est pendu, il est l’une des figures les plus attachantes de l’Afrique violentée et résistante …
« Ainsi donc, d’un bout à l’autre dépourvue de toute concession, la matière mouvante, émouvante de cette pièce dansée, véritable tragédie politique que, pliée, roulée, jaillie, bondissante, ancestrale, militante, écartelée, animiste, ruisselante, caoutchouteuse et les nerfs mis à nu, va, durant quelque quarante cinq minutes s’employer à charner à l’extrême, Georgette Louison Kala–Lobé. Un nom qui a lui seul est déjà une invitation au voyage. Certes, se trouvent ici contenus toute la détresse et le feu de l’Afrique de ses origines mais aussi, flagrante à chaque figure, une omniprésente volonté de jouer la carte de la plus parfaite et sincère des modernités. Seule en scène, s’appuyant sur des années d’études et de pratiques chorégraphiques, la voici alors s’offrant, évidence du don, scrupuleuse du moindre geste, de la plus petite mimique, car nul repos pour le visage, lui aussi partie intégrante du grand tourbillon, la grande déchirure. Il y a là, incontestablement, sur fond de toiles peintes non exemptes d’un certain désir de pacification, de la colère, de la douleur et de l’énigme et puis, à l’exacte mesure de l’ensemble du spectacle, le totem. Erigé, menaçant, ascétique, boulonné sur un caddy de supermarché, œuvre de René Strubel, peintre de haut vol, pour les besoins de la cause devenu scénographe . Faisant fi de toute trêve, la tragédie se déploie, tremble, cahote. La danseuse ruisselle. Et le public se tait. Sans l’ombre d’un doute décontenancé. Interdit. Car que dire, que penser de ce masque déchiré, de ce corps disposé à toutes les souplesses. Derrière la scène improvisée pour un soir se tient le rectangle vert d’un panneau de basket et son filet béant, comme un rappel à l’ordre de la part du siècle flottant au dessus de l’artiste qui, broyeuse du temps comme des ethnies, à bout de souffle et de substance, lentement finira par s’effacer. » Jehan Langhenhoven